La responsabilité pénale des influenceurs : un nouveau défi juridique à l’ère du numérique

Dans un monde où les réseaux sociaux règnent en maîtres, les influenceurs sont devenus de véritables stars du web. Mais avec la notoriété viennent les responsabilités. Zoom sur les enjeux juridiques qui encadrent désormais leurs activités.

L’émergence d’un cadre légal spécifique

Face à l’essor fulgurant des influenceurs, le législateur a dû s’adapter rapidement. La loi n°2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux marque un tournant décisif. Elle définit pour la première fois le statut d’influenceur et pose les jalons de leur responsabilité pénale.

Cette nouvelle réglementation s’applique à toute personne physique ou morale qui, à titre onéreux, mobilise son influence auprès de son audience pour promouvoir des biens, des services ou une cause. Les plateformes numériques comme Instagram, TikTok ou YouTube sont particulièrement visées.

Les infractions spécifiques aux influenceurs

Le texte de loi introduit plusieurs infractions propres à l’activité d’influence. Parmi elles, la promotion de produits ou services dangereux est désormais passible de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Cette disposition vise notamment la promotion de médicaments sans autorisation ou de produits cosmétiques non conformes aux normes européennes.

La tromperie sur les qualités substantielles d’un produit fait l’objet d’une attention particulière. Un influenceur qui vanterait les mérites d’un produit sans l’avoir testé ou en exagérant ses effets s’expose à des poursuites pénales. La peine peut aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.

La publicité déguisée dans le viseur de la justice

L’une des pratiques les plus répandues et désormais sanctionnées est la publicité déguisée. Les influenceurs ont l’obligation de mentionner clairement le caractère commercial de leurs publications. L’absence de mention « partenariat rémunéré » ou « collaboration » peut entraîner une amende de 300 000 euros, voire 1,5 million d’euros pour les personnes morales.

La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) est chargée de veiller au respect de ces dispositions. Elle dispose de pouvoirs d’enquête étendus et peut prononcer des sanctions administratives.

La protection des mineurs au cœur des préoccupations

Le législateur a accordé une attention particulière à la protection des mineurs. La promotion de chirurgie esthétique, de jeux d’argent ou de produits contenant de la nicotine auprès d’un public mineur est strictement interdite. Les peines encourues sont alourdies lorsque l’infraction est commise par le biais d’un réseau de communication électronique.

Les influenceurs parents sont également concernés. L’exploitation de l’image d’un enfant de moins de 16 ans sur les réseaux sociaux à des fins commerciales est désormais soumise à autorisation préalable. Le non-respect de cette disposition peut entraîner jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

La responsabilité étendue aux agences et marques

La loi ne se limite pas aux seuls influenceurs. Les agences d’influence et les marques qui les emploient peuvent être tenues pour responsables en cas de non-respect des obligations légales. Elles encourent des peines similaires à celles des influenceurs, avec des montants d’amende pouvant être multipliés par cinq pour les personnes morales.

Cette extension de responsabilité vise à responsabiliser l’ensemble de la chaîne de production de contenu. Les marques ne peuvent plus se dédouaner en invoquant l’indépendance de l’influenceur. Elles doivent s’assurer que leurs partenaires respectent scrupuleusement la réglementation en vigueur.

Les défis de l’application extraterritoriale

L’un des enjeux majeurs de cette nouvelle législation réside dans son application extraterritoriale. De nombreux influenceurs français opèrent depuis l’étranger, notamment depuis Dubaï ou Miami. La loi prévoit que les infractions commises à l’étranger par des ressortissants français peuvent être poursuivies en France.

Toutefois, la mise en œuvre de ces poursuites soulève des questions pratiques. La coopération internationale en matière pénale reste complexe, et l’exécution des peines à l’étranger peut s’avérer délicate. Les autorités françaises devront redoubler d’efforts pour assurer l’effectivité de la loi au-delà des frontières nationales.

Vers une autorégulation du secteur ?

Face à ce durcissement législatif, le secteur de l’influence commence à s’organiser. Des initiatives d’autorégulation émergent, comme la création de chartes éthiques ou de labels de qualité. Certaines plateformes mettent en place des outils de signalement et de modération plus performants.

Ces démarches, si elles se généralisent, pourraient à terme compléter efficacement le dispositif légal. Elles permettraient une meilleure prise en compte des spécificités du métier d’influenceur et une adaptation plus rapide aux évolutions technologiques.

Les perspectives d’évolution du cadre juridique

La loi du 9 juin 2023 constitue une première étape dans l’encadrement juridique de l’influence commerciale. Elle devra probablement être complétée et affinée au fil du temps. Les débats parlementaires ont déjà soulevé plusieurs pistes d’amélioration, comme la création d’un statut spécifique pour les influenceurs ou le renforcement des moyens de contrôle.

La Commission européenne s’est également saisie du sujet. Des réflexions sont en cours pour harmoniser les règles au niveau communautaire, notamment dans le cadre du Digital Services Act. Cette approche européenne permettrait de lutter plus efficacement contre les dérives transfrontalières.

L’encadrement juridique de l’activité des influenceurs marque un tournant dans la régulation du monde numérique. Entre protection des consommateurs et préservation d’un écosystème économique dynamique, le législateur tente de trouver un équilibre délicat. L’efficacité de ce nouveau dispositif dépendra largement de la mobilisation des acteurs du secteur et de la vigilance des autorités de contrôle.